La peur d’oublier
« La mort fait partie de la vie » ; c’est la seule chose dont nous sommes certains.
Pourtant, il est très difficile de vivre la perte d’un conjoint, un enfant, un parent, un frère, une sœur ou un ami. Le deuil est une traversée difficile avec plein de questions, de regrets, de tristesse…. et la peur d’oublier cette personne que nous avons tellement aimé.
Peu après que nous ayons perdu notre fils ainé en 2019, j’ai rencontré une amie qui avait également perdu son fils une dizaine d’années auparavant. Elle semblait très paisible. Je lui ai demandé comment elle avait fait ? Comment avait-elle fait pour recommencer à sourire et à vivre ?
A-t-elle oublié son fils ?
Elle m’a répondu : Tu ne l’oublieras JAMAIS, tu vas apprendre à vivre avec ce manque, tu vas apprendre à « apprivoiser son absence »…
Suite au décès d’un être cher, nous pouvons entendre des personnes nous dire : « Passe à autre chose », « Il faut oublier », « Il faut tourner la page » « Tu recommenceras à zéro », ou encore « Pourquoi t’accroches-tu à toutes ces photos ? » « Il faut te changer les idées » « Il faut parler d’autre chose »…
Avec beaucoup de bienveillance, nos proches voudraient que nous coupions les liens du passé pour nous aider à oublier, Pour avancer.
Mais nous ne souhaitons PAS oublier cette personne que nous avons aimée, surtout pas. Et même, nous avons PEUR de l’oublier au fur et à mesure que le temps passe et que nous nous sentons mieux. Je pense que c’est une réaction tout à fait normale.
Même si intérieurement, l’on sait bien que cette personne ne sera jamais oubliée il peut arriver que l’on se surprenne à ne plus se souvenir de tout petits détails Son odeur, son rire… Des détails qui avaient auparavant tellement d’importance ! Cela fait naître en nous une crainte légitime : la peur de perdre une seconde fois l’être cher.
J’apprends tout doucement que le deuil n’est pas une période d’oubli, de destruction des liens, ni même de fuite, mais bien tout l’inverse.
D’après tous les psychologues et spécialistes, tous les témoignages que j’ai lus et écoutés, le plus important C’EST d’arriver à faire une place en soi pour tisser une nouvelle relation apaisée avec l'être cher ; « apprivoiser cette absence » ; apprendre à vivre avec… comme me disait mon amie.
En nous efforçant « à penser à autre chose », « à oublier » ou « à couper » les liens, nous nous empêchons de construire cette relation intérieure stable, durable et apaisée avec notre défunt.
Tous nos souvenirs, les plus joyeux comme les plus douloureux, joueront un rôle décisif dans le bon déroulement de ce travail de mémoire. Ils sont les fils qui vont nous permettre de tisser la relation complexe, profonde et unique que nous allons entretenir avec notre défunt pour les années à venir.
Notre plus grand « défi » est d’intégrer en soi la présence de l'être cher, ce « lien qui ne meurt jamais » (comme le titre du livre de Lytta Basset), cette relation intime et singulière qui nous unira à jamais à la personne aimée.
Aujourd’hui, après presque cinq ans, je confirme que même si je me sens plus sereine, je pense à Xavier tous les jours de ma vie, je lui dis « bonjour » tous les matins et « bonsoir » tous les soirs dans mon cœur. Avec son papa, son frère, sa sœur et la famille nous parlons souvent de lui, nous regardons ses photos avec ses petits neveux qui ne l’ont pas bien connu. Lorsque nous rencontrons ses amis, ils sont heureux de nous raconter une anecdote qu’ils ont vécue avec lui et de parler de lui. Il reste tellement présent dans nos cœurs pour toujours !
Il y a une citation de Victor Hugo, qui, selon moi, résume en quelques mots ce qu'est le travail de mémoire durant le deuil :
« Tu n'es plus là où tu étais mais tu es partout là où je suis. »
Brigitte Koenig
(Février 2024)